Allocution du Ministre de la Justice
à la séance d'ouverture du congrès de l'AHJUCAF
le 13/3/2013
Mesdames et Messieurs,
C'est avec une grande joie que je me retrouve aujourd'hui au milieu de magistrats des cours de cassation de plusieurs pays ayant le français en commun. Avocat de profession et ancien Bâtonnier de l'ordre des avocats de Beyrouth, le ministre de la Justice que je suis ne peut sortir de sa robe d'avocat en s'adressant à ces grands magistrats.Donc, c'est avec le respect, que doit un avocat à la magistrature que je m'adresse aujourd'hui à votre assemblée pour lui souhaiter la bienvenue dans mon pays d'accueil et d'ouverture..
Mesdames et Messieurs,
L'avocat que je suis est beaucoup plus conscient maintenant des difficultés qui entravent le travail de la justice dans mon pays et probablement dans d'autres pays aussi. Au cours de"mon voyage à travers le royaume du pouvoir", pour reprendre la phrase de Robert Badinter, j'ai pu mesurer à leur juste mesure les grandes qualités d'un bon magistrat et les difficultés de bâtir une autorité (ou un pouvoir peu importe) judiciaire indépendant. C'est à ce niveau qu'intervient la déontologie du magistrat. Cette déontologie a un but et non des moindres: donner les garanties nécessaires aux magistrats d'une part, mais exiger ausside leur part un comportement qui inspire confiance. Et si je dois citer les grandes valeurs de la déontologie comme je les conçois à mon poste de Ministre de la justice, ancien Bâtonnier connu pour sa lutte inlassable pour élever la justice au rang d'un pouvoir indépendant, donc ces grandes valeurs seraient : l'indépendance, l'intégrité, l'impartialité, le devoir de réserve et de transparence. Mais le juge doit aussijouir en sa personne des qualités de sagesse, de bon sens, d'humanité mais surtout des qualités de courage et de modestie.
- De mon point de vue, je dirai qu'il n'y a pas d'état de droit en l'absence d'un pouvoir judiciaire indépendant.
- Et il n'y a pas de pouvoir judiciaire indépendant malgré l'existence de toutes les lois possibles s'il n'y a pas des juges courageux pour vivre cette indépendance.
- Enfin pour être courageux, indépendant et donc jouir de la confiance des justiciables, le magistrat doit oublier ses intérêts personnels. C'est ainsi qu'on est courageux vis-à-vis des hommes politiques et des gens au pouvoir, également courageux vis-à-vis des justiciables et des collègues,surtout les plus hauts placés.
Mesdames et Messieurs,
Etant tous francophones, nous avons tous le droit français comme source essentielle de nos droits nationaux. Et un des grands principes du droit français (et de tout autre droit digne de ce nom) peut être résumé en quelques mots: Un procès ne peut être équitable que si le magistrat qui le traite est un magistrat indépendant donc courageux et libre, un magistrat modeste, donc toujours à l'écoute et conscient qu'il a toujours besoin d'apprendre.
Voilà la base inébranlable de toute justice. Et si je vous en parle aujourd'hui, c'est parce que j'ai voulu partager avec vous mes soucis dans un pays très accueillant et très hospitalier mais vivant des crises multiples dont la crise qui ébranle l'esprit de beaucoup de magistrats qui sont à la recherche de ce pouvoir indépendant, un pouvoir à la hauteur des attentes des citoyens.
Mesdames et Messieurs les magistrats,
J'aurais dû peut être tenir un autre discours devant vous ce matin, me contenter peut-être de vous souhaiter la bienvenue dans mon pays et la tenue d'un congrèsà la hauteur de vos attentes, mais je n'ai pas pu me contenter de cela et j'ai voulu partager avec vous et à haute voix mes soucis et ceux d'une grande majorité des magistrats libanais. Malgré cela je reste optimiste quant à l'avenir. Les valeurs de courage, de modestie et de transparence ne manqueront jamais à la majorité de nos magistrats.
Permettez-moi en terminant de rendre hommage à votre Association, une des composantes de l'espace francophone dont le Liban fait partie, cette francophonie qui a non seulement le français en commun mais aussi les grandes valeurs humaines de nos sociétés modernes.
Vous êtes tous les bienvenus et j'attends avec impatience votre rapport de synthèse pour mesurer à sa juste valeur la déontologie des magistrats, mais aussi celle des autres.
Je vous remercie
Chakib Cortbaoui
Ministre de la Justice